Oublions un instant les termes tels que « ville intelligente », « vivable », « durable » ou « nouvelle », le vrai défi est de trouver les meilleures façons d’améliorer chacune d’entre elles. Améliorer veut dire, en bonne mesure, innover. Encore faut-il préciser qu’à la différence de l’invention, l’innovation est faite de la combinaison d’éléments qui ne sont pas tous nouveaux. Innover c’est, très souvent, s’organiser de façon différente, utiliser autrement des outils existants avec, de temps en temps, une dose de jamais vu, voir un coup de pouce fourni par les technologies de l’information et de la communication (TIC).
Après plusieurs voyages pour essayer de saisir les conditions de l’innovation telle que des gens s’y attaquent partout dans le monde j’ai retenu 5 caractéristiques que l’on retrouve, à des degrés différents, à peu près partout : espaces ouverts, diversités, sérendipité, désordre et désobéissance. Elles peuvent nous aider à mieux comprendre le dynamisme urbain.
Le mot qui fâche (parce que peu connu) est celui de « sérendipité ». Il indique le hasard heureux tel qu’on peut le trouver quand on travaille sérieusement et longtemps comme l’explique si bien Sylvie Catellin dans son livre sur le sujet.
Alliés à de multiples diversités (de genres, d’origines culturelles ou ethniques, de compétences professionnelles ou d’âges, entre autres) les espaces ouverts et le désordre facilitent l’émergence d’assemblages inattendus qui permettent de résoudre un problème ou de saisir une opportunité.
Contrairement à ce que l’on peut être tenté de croire, tout n’est pas poli et rond. Les frictions sont bienvenues. Elles font surgir les étincelles. L’innovation requiert un peu de chaos. On comprend mieux l’écosystème qu’elle requiert en imaginant de mauvaises herbes ou une forêt tropicale qu’un jardin à la française. C’est ce qu’ignorent, à leur dépens, ceux qui s’efforcent d’innover comme on produit, avec des contrôles aussi précis que possible.
Quant à l’idée selon laquelle « innover c’est désobéir » elle tient au fait que les choses telles que nous les connaissons résultent d’un ordre établi. Que celui-ci entretient des intérêts qui se défendent et qu’il faut, pour faire bouger le schmilblick, envisager de sortir des clous… en attendant que règlements, lois et institutions d’adaptent à la transformation en cours.
Tout commence donc par ces espaces ouverts alimentés par de multiples diversités.
Sensible aux premiers le musicien Brian Eno propose un mot pour distinguer le génie collectif de l’individuel. Le second se disant « genius » (en anglais), il propose d’appeler le premier « scenius ». Le génie du groupe a besoin d’une scène, implique un espace. Vous pouvez le voir vous-même dans tous les tiers lieux, co-working fablabs ou autres.
Copions-le. Pourquoi ne pas appeler « xenius » le génie qui nous vient de la diversité (les Français étant plus frileux face aux mots nouveaux j’ose à peine proposer d’ajouter cet usage au terme « xénie » qui signifie d’abord « insolite »). Cela vient tout simplement du grec « xeno » qui indique ce qui est étranger. Pour innover il faut donc un espace – une scène – et des acteurs différents, divers, inhabituels. Les entreprises réussissent mieux quand elles ont plus de femmes dans la direction, les villes quand elles abritent plus de gens venus d’ailleurs.
Citons à simple titre indicatif, San Francisco, Mountain View ou Menlo Park dans la Silicon Valley (où la moitié des fondateurs de startups sont nés hors des Etats-Unis), New York, ville cosmopolite par excellence, Londres (qui proteste contre la fermeture impliquée par le Brexit) ou Paris. Et que dire de ces ports plus ouverts que les capitales de leurs pays Saint Petersburg, Shanghai ou Bombay ?
Les villes qui réussissent aujourd’hui attirent une multiplicité de flux divers : industriels, humains, d’informations ou autres. Rarement en guerre l’une avec l’autre, elles sont en compétition. Plus ceux qu’elles attirent sont d’origines diverses, plus elles avanceront. Cette réflexion vaut aussi pour les territoires qui souffrent de marginalisation. À la périphérie ils attirent moins de flux. Ça leur permet un entre soi rassurant au début mais vite asphyxiant. Une des façons de les revitaliser est peut-être de les reconnecter à des flux divers. En créant des lieux, des évènements, des prétextes à des circulations de toutes origines et de toutes natures. Nous avons tous besoin d’espaces ouverts et de diversités.
Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 27 avril 2017.
Photo : Les chaussures de la diversité (Max Pixel)