Article publié dans le supplément Science&Techno du Monde daté du 31 mars
Parc technologique installé au coeur historique d’une des plus vieilles villes des Amériques, le Porto Digital a fait de Recife, dans le nord-est du Brésil, le troisième pôle des technologies de l’information et de la communication (TIC) du pays derrière Sao Paulo et Rio de Janeiro. Fruit d’une initiative prise par un groupe de professeurs d’informatique découragés de voir leurs élèves fuir leur région ou émigrer, ce parc se heurte maintenant aux défis de l’accélération numérique et doit répondre à la difficile question de la génération d’innovations » de niveau mondial « .
Les professeurs enseignaient à l’université fédérale de Pernambouc (l’Etat dont Recife est la capitale) et formaient d’excellents ingénieurs qui avaient bien du mal à trouver du travail sur place. Ceux qui lançaient leur boîte étaient vite rachetés et intégrés ailleurs. Lassés de les perdre, ils ont d’abord créé, en 1996, le Centre d’études et systèmes avancés de Recife (Cesar, une institution privée), pour changer la dynamique entre l’université et les entreprises. Convaincu par leur succès, le gouverneur a décidé, en 2000, de créer un pôle de développement de logiciels (Porto Digital) qui a bénéficié des soutiens local, régional et fédéral.
Industrie créative
Le plus surprenant dans cette décision fut d’installer le pôle en question dans le centre historique de la ville, alors à l’abandon, rongé par le soleil et la mer. Membre du groupe initial et aujourd’hui président du conseil exécutif du Cesar, Silvio Meira voulait le créer du côté de l’université, que la dictature militaire avait soigneusement située loin du centre. Mais Claudio Marinho, alors responsable de la technologie pour le Pernambouc, s’est battu pour en faire un élément de rénovation urbaine. Il a emporté le morceau lorsque, au bout de plusieurs mois de discussions, Meira a été incapable de lui signaler un seul restaurant décent près de l’université. La classe créative a besoin de ses aises.
Bilan positif : le Porto Digital regroupe 200 entreprises qui emploient 6 500 personnes. Les développeurs restent. Les grosses sociétés s’installent, d’Accenture à Nokia. Mais passer de la création d’emplois à l’innovation demande de nombreux sauts qualitatifs.
Porto Digital parie sur l’industrie créative, des jeux à l’art digital en passant par le cinéma et la publicité, sans oublier les médias. Le Cesar met l’accent sur la recherche et le développement, et conçoit ses » labs » (systèmes embarqués et télévision numérique notamment) et un programme centré sur le processus d’innovation.
Silvio Meira, lui, se lance dans l’approche design, notamment des modèles d’affaires. Non parce que c’est à la mode, mais parce que les gens de la Silicon Valley américaine se trompent quand ils misent leur avenir là-dessus alors qu’ils externalisent la production. » C’est du brainware – du jus de crâne – , et les cerveaux brésiliens sont aussi bons que les autres « , m’avait-il avoué, en 2011, lors d’une première rencontre. C’est moins cher que le développement d’une industrie automobile.
» Nous allons essayer de créer des entreprises de niveau mondial avec des algorithmes qui tiennent la route au niveau global, explique-t-il aujourd’hui. Mais ceux de Skype, de Google ou de Facebook sont inatteignables pour les institutions d’enseignement de la plupart des pays du monde. « Il faut des dizaines d’années pour y parvenir.
Reste le design, qu’il voit comme un processus en quatre couches. Les trois premières sont connues : connaissance (résultat de l’éducation), entrepreneuriat et investissements. A cela il ajoute la notion de » compréhension de la complexité des problèmes de portée mondiale et la capacité de mettre en place des réponses « . C’est encore un peu abstrait, mais personne ne peut dire que cette porte ne peut ni ne doit être ouverte. A Recife et ailleurs.