piranhateeth-laura_travels.1248247322.jpg Les faits sont connus maintenant mais mon récent billet chantant les louanges du Kindle 2 m’oblige à y revenir. Amazon a éliminé plusieurs titres de Kindles sur lesquels ils avaient été téléchargés. L’opération a été réalisée sans prévenir les intéressés et sans qu’ils puissent faire quoi que ce soit. L’affaire est grave et pourtant il faut se féliciter qu’elle ait eu lieu.

Ironie à laquelle nous sommes tous sensibles, parmi les livres effacés on trouve La ferme des animaux et surtout 1984 de George Orwell. La liste est en fait plus longue et contient des ouvrages de Ayn Rand et de J.K. Rowling. La magie d’Harry Potter ne vaut rien contre la folie Amazon. C’est Jeff Bezos, hier encore héraut du livre électronique, qui fait maintenant disparaître des titres dans le « trou de mémoire ». Qu’il le veuille ou non, qu’il l’explique et l’excuse ou non , le geste est doublement symbolique et doit nous servir à réfléchir sur certains des dangers de l’internet, du web, des technologies de l’information et des gadgets que nous adorons.

Le pire, peut-être, est qu’Amazon peut invoquer le bon droit pour justifier son erreur. Les termes du contrat que les lecteurs de livres électroniques passent avec la société basée à Seattle lui permettent d’agir ainsi. Elle a promis de ne pas recommencer mais là n’est pas le problème.

Comme le dit Farhad Manjoo dans Slate (le meilleur article que j’ai lu sur le sujet ), le pire n’est pas la conduite de la boîte mais ses capacités techniques d’effacer tout contenu sur des appareils dont nous croyons qu’ils nous appartiennent parce que nous les avons achetés. Apple se réserve tous les droits sur les apps que nous téléchargeons. « Si Apple ou Amazon peuvent décider de détruire des choses que nous avons achetées, » écrit Manjoo, « il est clair qu’un tribunal – ou, pour continuer dans la ligne d’Orwell, peut-être même un régime totalitaire – pourrait les forcer à le faire. »

La censure existe dans le monde du papier mais elle est généralement plus facile à détourner. Que penser d’un monde entièrement digital dans lequel Candide ou Ulysses pourraient être détruits d’un clic et pour toujours?

Je reste un fan des bouquineurs électroniques (et du Kindle) dans lesquels je vois une bonne partie du futur des livres, mais je vais devoir réviser mon attitude face à Amazon. Elle doit réviser les termes du contrat lui donnant le droit d’effacer les livres que nous achetons et supprimer la technologie qui permet de le faire. Tant qu’elle ne le fait pas je déconseille maintenant (avec d’autres ) l’acquisition d’un Kindle (quand il sera disponbile en Europe).

Cela ne suffit pas. Nous devons multiplier les mouvements de rébellion contre les actions de ce genre (les clients d’Amazon ne sont pas contents ) et tenir compte de leurs positions sur les problèmes de droits numériques au moment de voter pour ou contre les élus qui approuvent des lois qui conduisent à de telles menaces contre la démocratie.

Mais pourquoi je me réjouis?

Cela devrait être évident pour tous ceux qui ont lu jusqu’à ces lignes. Inspirées par les grandes boîtes, aux États-Unis comme en Europe et en France, les lois gérant les droits digitaux (numériques) sont aberrantes et dangereuses. Nous avions du mal à l’expliquer. Il est clair maintenant qu’il en va des libertés publiques et même du droit de propriété. Voilà qui devrait déciller les plus conservateurs.

On ne pouvait rêver de meilleur exemple pour nous réveiller.

Alors?

[Photo de piranha par Laura Travels sur Flickr ((je me suis refusé à mettre une enième photo de pub pour l’appareil))]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...