La France se targue volontiers de faire de la prose même quand elle l’ignore, d’avoir des idées quand elle n’a pas de pétrole. Un de ses problèmes est, au contraire, qu’elle innove moins qu’elle croit.
Mais ceux qui en sont convaincus – ils ne manquent pas – ont une réponse trop facile : si nous n’innovons pas c’est « la faute à l’État », c’est à dire « à l’autre ». Jamais la nôtre.
L’absence (relative) d’innovation a d’abord une dimension culturelle. Nous la partageons tous, fut-ce à des degrés divers. Et trop d’entreprises qui croient innover le font en dépit du bon sens.
Parmi la longue liste des problèmes qui paralysent la plupart d’entre nous (pas tous, j’insiste) il y a la peur de l’échec incrustée dans nos cerveaux dès l’école et le stigmate des mauvaises notes. Commune à la plupart des cultures (mais exacerbée en France par notre style d’enseignement) elle est aujourd’hui l’avantage indiscutable (plus que l’abondance de capital risque et d’universités de haut niveau) qui met Silicon Valley hors du lot. J’y reviendrai.
Plus profond, il y a la préférence presque atavique (encouragée par les succès des mouvements sociaux à l’ère industrielle) pour la défense des avantages durement acquis face au changement et à la prise de risque. Ou, pour reprendre les termes d’un article publié par The Economist en novembre dernier, le fait que « Paris el la France préfèrent une culture de la préservation à celle de l’innovation ».
L’importance de l’État et la relation que nous entretenons avec lui, aggrave ce tableau déjà peu encourageant. Les Français n’ont de leçons à recevoir de personne quand il s’agit de protester mais, trop souvent, nos revendications consistent à demander aux autorités d’intervenir plutôt que de prendre les choses en main et d’agir sans attendre.
Ajoutons la méfiance toutes tendances politiques confondues face à l’entrepreneur. La gauche tend à confondre « entreprise », que ses troupes combattent, et « entreprendre ». Dans ce terme, elle a le plus grand mal à reconnaître la valeur de changement qu’implique le fait de mobiliser des ressources pour les utiliser de façon plus efficace (la définition de Jean-Baptiste Say).
La droite, quant à elle, ne distingue pas suffisamment « gestionnaire » et « entrepreneur ». Elle tend même à privilégier ceux qui conservent face à ceux qui font bouger. Pire encore, elle ne reconnaît pas la valeur croissante de ceux qui entreprennent avec des objectifs sociaux.
Et comme il serait trop facile d’imputer toute la faute aux autres, je reconnais volontiers la part de responsabilité des médias dans la couverture des thèmes liés à la technologie et à l’innovation. Depuis 20 ans trop d’articles tablent sur l’ignorance et le mépris, quand ça n’est pas le combat bille en tête avec l’espoir d’enrayer l’évolution.
Je ne prendrai pour exemples de couverture négative que les innombrables insanités avancées jusqu’à ces derniers temps pour nous convaincre du manque d’intérêt, voir du danger des textes électroniques. Un courant auquel nous ferions beaucoup d’honneur en lui rappelant que Socrate était contre l’écriture parce qu’elle débilite la mémoire.
Puis nous passons d’un bond, mais toujours tard, au panégyrique, comme on le voit dans certaine couverture des médias sociaux. Les passionnés, comme moi, abordent rarement les problèmes posés par un bilan qu’ils estiment « globalement positif ».
Entre les deux on trouve trop peu d’informations fouillées et d’analyses utiles à l’apprentissage et à la compréhension.
Malgré ce contexte difficile un grand nombre d’individus et de petits groupes innovent dans leur coin. Quant aux entreprises, trop d’entre elles pensent innover – souvent en circuit fermé – pour la seule raison que c’est ce qu’elles devraient faire. Et elles s’en satisfont sans remettre en question leurs process.
Nous avons tous besoins d’innovation dans l’innovation et d’en débattre. J’y reviendrai.