Ainsi ma fille Yara me conseillait-elle de prendre un peu d’air sur une plage mexicaine pour me sortir du trou dans lequel elle me savait empêtré. À quoi j’ai bêtement répondu que je ne survivrais pas à cet excès d’oxygène. Rentrés à la maison, nous nous sommes tendrement dit bonsoir, ravis de ce bel échange.
Le lendemain matin, décalage horaire aidant, je me suis levé de bonne heure et comme presque tous les jours j’ai commencé par quelques exercices de mon cru. Un mélange de gymnastique d’échauffement que je faisais comme professeur de judo, de postures de Yoga et de Qigong suivis de concentration sur la respiration et la circulation de l’énergie. Pas vraiment de la méditation même si je chantonne parfois comme j’ai entendu le faire dans les temples bouddhistes du Japon, mais un oubli profond du monde suivi parfois de ce moment sublime où le sourire de la Joconde fleurit sur le visage.
Pas ce jour-là. J’étais trop excité et pas assez maître de moi pour trouver le calme. Je repensais sans cesse à l’idée de Yara. L’incontournable problème restait cette disparition de la scène publique qui pour un journaliste de mon âge risquait d’être définitive.
Soudain, je ne me rappelle plus comment, j’ai repensé à une proposition que j’avais faite quelques années plus tôt à Edwy Plenel quand il était directeur de la rédaction du Monde et à Jesus Ceberio alors directeur d’El País, de faire pour eux une série d’été que j’aurais alimenté en une dizaine d’escales en différents endroits du globe pour voir comment on y utilise les technologies de l’information. Bonne idée m’ont dit l’un et l’autre mais hors de nos moyens. Je crois qu’en outre ils doutaient que cela puisse intéresser leur public de l’époque.
Mais en ce début 2011, alors que tout le monde s’y était plus ou moins mis, ne serait-ce qu’en grinçant des dents – en France notamment -, beaucoup d’octets étaient passés par les routeurs. Pourquoi ne pas tenter le coup? Investir une partie de l’argent qui proviendrait de la vente de la maison familiale? Sans retraite c’était le seul capital auquel je pouvais aspirer. Mais je pourrais vendre des papiers sur ce que je découvrirais, me positionner – au terme de mes voyages – comme connaisseur de l’innovation de par le monde. Pouvais-je ainsi jouer mon va-tout?
Mélange de lumière et d’extrême confusion, j’ai vu comme une porte s’ouvrir sur… je ne savais trop quoi: la découverte d’un sujet fascinant, la certitude d’y trouver l’énergie qui anime, l’envie de mordre. J’en avais marre d’écrire sur les technologies comme je l’avais fait pendant 17 ans. Mais pas une seconde je ne doutais de leur importance transformatrice. Apple, Google, Facebook, Twitter et leurs cousines de Seattle (Microsoft et Amazon) faisaient tout pour la détourner à leur profit. Thomas Friedman du New York Times, voulait nous convaincre que « le monde est plat ». Je trouvais cela à la fois faux et dangereux mais manquait d’arguments pour le contredire. Alors pourquoi pas aller voir?
Tout seul? Pas très sérieux…
Mais comme je cherche souvent l’étincelle de ce qui me fait bouger ailleurs que dans les registres du sérieux traditionnel, j’ai aussitôt pensé que c’était aussi une assez jolie façon de réaliser un rêve d’enfant: faire le tour du monde. Littéralement. Partir par un côté et revenir par l’autre. Ne venais-je pas de relire sur mon Kindle Le tour du monde en 80 jours (les œuvres complètes de Jules Vernes étaient alors un des seuls titres en français disponible dans la bibliothèque d’Amazon puisque les éditeurs hexagonaux se refusent – disons qu’ils se dépêchent autant qu’ils le feraient le jour de leur enterrement – à digitaliser leurs textes)?
Bref, c’est sans doute ce rêve de gamin qui m’a le plus excité sur le moment. Qui m’a fait franchir le pas sans trop réfléchir aux risques qu’il impliquait.
Au petit déjeuner, j’ai confirmé à ma fille qu’il était hors de question d’aller écrire un roman sur une plage mexicaine mais qu’elle me conseillait en fait de m’accorder une bourse et que j’allais m’en servir pour faire le tour du monde des technologies. Merci, lui dis-je, tu m’as donné l’idée autour de laquelle je vais organiser les dix prochaines années de ma vie. J’adore ce genre de déclaration. Je plastronnais pour lui faire oublier mes doutes de la veille car je n’avais pas la moindre idée de comment m’y prendre.
J’eu même une vraie hésitation dont j’espérais qu’elle ce se rendait pas contre car, à mesure que je lui parlais, je me rendais compte qu’il fallait tout miser. Impossible de se lancer à demi dans une telle aventure et je ne voyais pas de filet.
Je n’avais qu’une vague idée, un sentiment mêlé d’espoir – c’est là le danger – que les TIC s’inventent de plus en plus dans des endroits que nous connaissons mal, que c’est ça qu’il faut connaître aujourd’hui pour se faire une idée du monde de demain.
Restait à transformer l’illumination en projet…