Au terme d’un tour du monde de l’innovation (qui m’a conduit dans 45 villes de 32 pays sur les 5 continents) je suis revenu convaincu que, non seulement l’Afrique est bien mieux partie qu’on ne le croît encore en Europe, mais qu’elle a un peu d’avance. Dans un domaine au moins : celui du mobile qu’elle ne voit pas comme un écran plus petit pour lequel il faut adapter des contenus conçus pour le web. Comme l’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique Latine, elle a compris qu’il fallait tout concevoir directement pour téléphones portables et tablettes. Ce que les stratèges appellent, en anglais, « mobile first ».

Premier exemple évident : celui des paiements mobiles dont le cas le plus connu (c’est loin d’être le seul) est M-Pesa (pesa veut dire argent en swahili) lancé en 2007 par Safaricom le plus gros opérateur kenyan. Une journaliste américaine notait, il n’y a pas longtemps, qu’elle avait l’impression de venir d’un pays en retard quand elle a vu une personne de sa connaissance payer ses légumes sur un marché de Nairobi en utilisant son téléphone pour transférer l’argent.

Le plus impressionnant est que près de 90% des adultes de ce pays ont un compte et que l’argent qui transite chaque année par ce système équivaut à un tiers du PIB. Ajoutons que sur les 10 premiers pays dans lesquels le téléphone mobile est utilisé pour réaliser des paiements, huit sont Africains :

  • Le Kenya vient en tête,
  • suivi du Soudan,
  • du Gabon
  • et de l’Algérie.

Cela permet à un nombre plus important de personnes de participer plus activement et de façon plus liquide à l’activité économique.

La téléphonie mobile ne résout pas tous les problèmes. Mais « l’enthousiasme de l’Afrique pour la technologie stimule la croissance », remarquait The Economist dans un numéro de décembre 2011 publié sous le titre « Africa Rising » (L’Afrique monte).

Créée par le ghanéen Bright Simons, de l’autre côté du continent, m-Pedigree permet à tout détenteur d’un simple mobile de vérifier par sms si le médicament qu’on lui propose est légitime ou pas. Un pas en avant quand on sait que près de 30% des médicaments mis en ligne sont des contrefaçons qui, dans certains cas, peuvent tuer.

Or l’initiative ne vient ni d’une ONG internationale ni d’un État bienveillant. Elle est l’œuvre d’une poignée d’entrepreneurs sociaux qui ont choisi de créer leur propre boîte pour s’attaquer tout de suite et eux-mêmes à un problème de premier ordre. Et tant mieux si, ce faisant, ils trouvent le moyen de vivre et de gagner de l’argent.

Les technologies de l’information apparaissent ainsi comme un puissant multiplicateur de force qui encouragent les initiatives autonomes et peuvent contribuer au développement.

François Bar, professeur de communication à la University of Southern California, qui a participé à plusieurs recherches sur le sujet, m’a dit que « la téléphonie mobile […] rend plus efficaces les échanges existants et permet d’introduire de nouvelles formes d’organisations et de transactions ».

Un récent rapport de la GSMA, la principale association d’opérateurs, montre qu’un doublement de l’utilisation du mobile pour l’accès aux données se traduit par une augmentation de 0,5% du PIB par habitant. Même la productivité augmente au bout d’un certain temps.

« En renforçant la connectivité, le mobile entraine l’économie africaine vers un écosystème dominé par les services et l’éloigne d’une culture agraire, » explique Bright Simons. Ça se fait en contournant le stade de la fabrication industrielle que les réformateurs africains « ont passé tellement de temps à essayer d’atteindre dans les années 1950 et 1960 ».

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...