Nous avons encore trop tendance à prendre la Chine comme un marché attractif parce qu’énorme. Ça n’est plus suffisant. Le pays a donné une importance stratégique à l’innovation et ses entreprises se lancent à la conquête de l’extérieur. Tendance illustrée la semaine dernière par l’annonce de l’entrée en bourse d’Alibaba, géant du commerce online.
Nous devons même nous faire à l’idée que nous allons voir la Chine proposer à l’extérieur certains de ses processus ou de ses initiatives comme modèles. Le cas le plus impressionnant pourrait être celui des villes, qu’elles soient « nouvelles », « intelligentes », « mégavilles » ou même « écovilles ».
Pour comprendre comment on peut arriver là, il faut d’abord se faire une idée de la magnitude et de l’importance stratégique de l’urbanisation en Chine. Un récent cahier spécial de The Economist (abonnement nécessaire) nous apporte quelques données de base.
Au cours des 35 dernières années la population urbaine a cru de 500 millions, soit les Etats-Unis plus trois Grande Bretagne. La moitié de la population est urbanisée et la proportion pourrait atteindre 70% en 2030. Un huitième de l’humanité (1 milliard de personnes) vivrait alors dans des villes chinoises.
Elles se seront dotées de entre 20.000 et 50.000 nouveaux gratte-ciels qui abriteront l’équivalent de la population de 10 New York selon McKinsey.
Ces villes sont connectées entre elles par un réseau de trains à grand vitesse. Inexistant il y a six ans il est aujourd’hui plus long que le réseau européen. Il aura, en 2020, grandi de 7000 km. A cette date il connectera entre elles toutes les villes de plus de 500 000 habitants.
Une des spécificités chinoises est l’organisation de « mégavilles ». Dotées de personnalité administrative distincte, elles sont constituées par des regroupements de villes existantes. Une des plus connues est celle qui se crée autour des pôles de Guangzou et de Shenzen dans le delta de la Rivière des Perles. 26 fois plus grande que Londres en superficie, elle fait près de 45 millions d’habitants, sans compter Hong Kong, pourtant incluse de fait.
Dans ces ensembles, les trains à grande vitesse devraient permettre de n’être jamais à plus d’une heure d’’un autre point de la même zone, en règle générale. En 2020, les « petites mégavilles » auront entre 10 et 25 millions d’habitants et les grandes constitueront des ensembles pouvant aller jusqu’à 100, voir 120 millions d’habitants, précise un article plus ancien du Telegraph.
Dernière image s’il en faut encore une, selon McKinsey, la Chine doit et va construire l’équivalent d’un New York tous les ans au cours des 20 prochaines années.
The Economist affirme que le futur de la Chine se joue autour du futur de ses villes et des problèmes que cette révolution urbaine pose aux dirigeants. Sociaux, économiques, environnementaux et politiques ils seront vraisemblablement le point sur lequel se joueront une partie essentielle de leur échec ou de leur réussite. C’est évident.
Ce qui l’est moins c’est que, dans ce processus, nous verrons émerger un, voir plusieurs modèles chinois de villes. C’est là que se trouvera le plus grand laboratoire avec les plus grandes variétés d’expériences testées en même temps et la plus grande pression pour réussir.
Certaines directions peuvent inquiéter. Celle des mégavilles qui, à la différence de ce que nous voyons dans le Delta de la Rivière des perles sont organisées autour d’un seul pôle (Shanghai ou Beijing, par exemple) et risquent donc de s’étouffer dans les problèmes de transport. D’autres, comme les écovilles devraient nous intéresser.
L’erreur étant de croire que les Chinois ne se posent pas les mêmes questions que nous sur l’environnement et la vivabilité. La seule différence est qu’ils sont obligés de trouver immédiatement les réponses et de les appliquer à grande échelle.
Selon Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’innovation technologique aux Etats-Unis et l’urbanisation de la Chine seraient deux clés de l’humanité pour le XXIe siècle. Rien n’expliquerait qu’une seule des deux entreprenne de s’exporter. Et, comme toujours, nous devrons apprendre à faire la différence entre « modèle » et « inspiration ».
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Crédit photo : Ivan Bandura/Flickr/CC