Les difficultés des hypermarchés à la française (Carrefour, Casino entre autres) et des malls à l’américaine sont connues depuis plusieurs années. On en attribue généralement la raison à une plus grande réluctance face à l’utilisation de la voiture ou à la crise de ce que les Américains appellent Suburbia, les espaces périurbains dont la croissance a été largement encouragée à l’heure de l’essence bon marché et d’un moindre goût pour le développement durable.

Le succès des gares qui s’enrichissent de plus en plus fréquemment d’espaces commerciaux est souvent attribué à la recherche de nouvelles formes de commercialisation et critiqué pour la volonté affichée de transformer les voyageurs en consommateurs.

Pour valables qu’elles soient, ces interprétations me semblent passer à côté de l’essentiel, de ce qu’il faut comprendre pour s’y retrouver dans le monde d’aujourd’hui : réseaux, accélération et flux.

Les hyper marchés sont construits sur un modèle de concentration et d’organisation centralisée des flux. Ils se sont imposés en misant sur le moindre prix du m2 dans les communes périphériques et sur le moindre coût pour l’acheminement et la livraison des marchandises et des déchets hors des centres urbains. Conséquence dramatique pour les villes : ils les ont privé de leurs flux naturels de marchandises et ont drainé les flux de personnes en fonction d’exigences strictement économiques ne prenant pas en compte la ville comme tissus social vivant.

Le modèle ne marche plus aussi bien à l’heure du e-commerce alors qu’augmente la prise de conscience du côté chronophage des déplacements en voiture et de leur coût environnemental.

Et ça va plus loin.

C’est la notion de zone périurbaine qui est remise en question. Pour The Guardian « ça n’est pas le centre commercial qui est en déclin mais suburbia. Le centre commercial, pendant ce temps devient urbain ».

La transformation des gares en centre commerciaux vient compléter cette évolution. Elle correspond d’une part à l’accélération du rythme de vie. On ne va plus à l’hypermarché on fait ses courses en prenant un moment sur son temps de transport. Les consommateurs sont de plus en plus pressés.

Et ça va plus loin.

Connexions entre différents réseaux

Les gares sont aussi, et de plus en plus, des lieux de connexions entre différents réseaux. C’est ce qu’on appelle d’une façon générale la multimodalité (le fait de concevoir un déplacement sur la base des multiples moyens de transports qu’il requiert et de faciliter le passage de l’un à l’autre). Elles sont le lieu où l’on « saute » du train au métro, au bus, à la bicyclette et vice versa. Elles se trouvent donc sur un des types de points stratégiques de tout réseau, ceux qui permettent de le connecter à un autre.

Pour mieux comprendre ces nouveaux entrelacements on peut se référer au Rhizome de Deleuze et Guattari ou à la Mangrove « idée botanique de la connexion » dont font état Marion Giraudo et David Mangin dans leur livre Mangroves urbaines, du métro à la ville : Paris, Montréal, Singapour.

30% des clients de ces nouveaux magasins ne prennent pas le train, mais nous commençons à les vivre comme des points de passage plutôt que des destinations comme nous étions obligés de le faire avec hypermarchés et autres centres commerciaux. Ça change tout.

Les hypermarchés ont, bien sûr, permis (au début) de gagner du temps en offrant la possibilité de concentrer les achats d’un nombre considérable de produits en un même lieu et en un même moment. Mais, à l’heure de l’internet et du téléphone mobile les coûts secondaires se révèlent trop élevés. Surtout quand les jeunes se passent de plus en plus volontiers de voitures personnelles.

Les gares connectées à un nombre croissant d’activité commerciales et de modes de transports différents permettent au contraire d’ajouter la commodité des achats concentrés en temps et en lieu à diverses activités de transport dont certaines (celles dans lesquelles on ne conduit pas) permettent de faire encore autre chose : lire, se connecter aux réseaux sociaux, acheter sur le web etc.

Passer aux économies d’envergure

La logique économique est imparable. On passe ainsi des économies d’échelle aux économies d’envergure (ou de champ). Voici ce que nous dit l’Encyclopaedia Universalis : « On parle d’économies d’échelle lorsqu’une entreprise est plus efficace quand le volume de ses activités s’accroît. On parle d’économies d’envergure lorsqu’une entreprise est plus efficace quand le nombre de ses activités s’accroît ».

Ajoutons, si vous avez des doutes, que la transformation des aéroports va exactement dans le même sens… Les plus nouveaux tendent à se transformer en villes – appelées par certains aerotropolis – exactement pour les mêmes raisons.

Le recul des hypermarchés et l’adjonction de centres commerciaux aux gares, ainsi que l’évolution des aéroports, nous ouvrent à une géographie des fonctionnalités et des connexions. Un bouleversement de la perception de nos activités économiques qui devrait nous entraîner vers des changements profonds dans nos façons d’analyser et de penser la dynamique urbaine.

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 26 mars 2017.

Photo : Centre commercial d’Euralille situé entre deux gares TGV et desservi par une palette de transports en commun (Common Wikimedia) 

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...