La Task Force Ville Durable du MEDEF International a été créée il y a 4 ans pour rassembler les entreprises françaises qui travaillent sur la ville dans tous les domaines. Elle compte aujourd’hui 550 entreprises de toutes tailles : Veolia, Suez, Engie, EDF, Alstom, SNCF entre autres, des ETI, des PME ainsi qu’une quarantaine de startups. Son président, Gérard Wolf, répond à nos questions.

On peut se demander si la vision spécifiquement française de la ville est perceptible à Lagos ou Mumbai. Proposer une vision européenne n’aurait-il pas plus de sens ? 

Pour ce qui est de la technologie, certaines entreprises allemandes, italiennes et espagnoles sont aussi bonnes. Notre différence vient de notre présence sur toute la chaîne de valeur. A l’issue de la deuxième guerre mondiale nous avons du tout reconstruire et moderniser un pays qui sortait d’une ruralité totale. C’est de cette combinatoire que sont nées des boîtes comme EDF, l’ancienne Générale des Eaux, Suez, Veolia, etc. Voilà pourquoi la ville à la française est devenue une réalité.

À cela s’ajoute le mode de gestion des infrastructures urbaines qui concerne tous les sujets urbains. La notion de délégation des services publics est née en France, ainsi que les partenariats publics privés qui s’invitent de plus en plus à la table un peu partout dans les pays émergents.

Ces deux sujets font qu’il y a bien une spécificité française et que nous sommes les seuls à pouvoir faire une telle offre. J’ajoute que beaucoup de entreprises françaises sont en partie, voire davantage européennes. Nous contribuons donc aussi à une construction européenne et c’est tant mieux.

L’offre semble séduisante mais est-elle vraiment suffisante ?

Pour créer de la valeur nous devons créer les conditions de la réussite. Tous les élus locaux des pays dans lesquels nous travaillons nous disent qu’il a deux choses qu’ils ne savent pas faire : trouver les financements et former suffisamment leurs équipes. La task force va chercher des financements qui peuvent venir d’organismes internationaux ou de fonds privés. Ça n’a évidemment rien à voir avec la puissance de feu des banques asiatiques mais on ne laisse pas le maire se débrouiller seul.

Quelle est la place de la formation dans votre offre ?

Pour ce qui est des infrastructures (transports, assainissement, énergie) former les opérateurs étrangers fait partie de notre travail et de l’ADN des entreprises françaises. Même les PME. Ainsi l’entreprise Derichebourg qui s’occupe des déchets et des technologies permettant leur valorisation n’a pratiquement aucun expat au Maroc ou au Canada où elle est implantée. Elle forme Canadiens et Marocains soit sur place, soit dans ses propres installations en France.

Par contre, nous ne savons pas former les équipes locales de gouvernance. Nous ne pouvons, au demeurant, pas être des deux côtés de l’appel d’offre. Mais nous avons de plus en plus de partenariats avec des élus français (maires ou autres) qui viennent discuter avec les élus locaux des formations qu’ils peuvent mettre en place ensemble. Il y a des financements multilatéraux et il suffit que les maires se comprennent entre eux. Ça porte déjà ses fruits.

Qu’entendez-vous par « ville durable » ?

« Ville durable » ne veut rien dire. Une ville n’est pas, en soi, plus durable, qu’intelligente ou tous les qualitatifs qu’on lui attribue selon la langue que l’on parle ou l’intérêt que l’on porte.

Durable veut dire trois choses pour nos entreprises. Il s’agit d’abord de la durabilité technique des infrastructures. Quand nous créons une ligne de télécabine pour monter dans une favela en Amérique Latine ou une station d’épuration en Afrique nous ne les créons pas pour 5 ans. Mais un des gros problèmes en Afrique est l’obsolescence de l’entretien (premier sens de la durabilité) plus que des matériaux.

Le deuxième sens de la durabilité concerne la protection de l’environnement, le respect des accords de Paris avec des solutions non polluantes. Mettre en place de la mobilité douce ou des énergies renouvelables par exemple.

Le troisième et dernier sens est la durabilité de la ville elle-même, son inclusivité, sa fonction de point de rencontre entre des gens qui habitent dans des tours de 40 étages avec piscine à 10 pâtés de maisons d’un habitat informel avec sols en terre battue et pas vraiment d’assainissement. Un vrai malheur.

Vous êtes généreux quand vous dites « 10 pâtés de maisons »…

Oui, c’est vrai. La distance est souvent moins grande. L’habitat informel fait partie de l’équation à résoudre et ne peut ni ne doit être laissé de côté. C’est pour ça, par exemple, que Schneider Electric installe des solutions à bas coût d’accès à l’énergie dans des slums un peu partout.

Cette troisième notion de « ville durable » prend une tournure plus politique (au sens noble) mais surtout essentielle dans la logique de « Save the Planet ».

Chaque fois que les inégalités ont été trop fortes dans les villes, (la plupart du temps entre quartiers à haut revenus et quartiers pauvres ou informels), les tensions ont amené des troubles graves, voire des émeutes. Nous n’en sommes pas loin.

Combien de gens dans le monde vivent dans des bidonvilles ?

ONU-Habitat situe le chiffre autour de 2 milliards. 1.6 pour faire propre ou 2.5 pour interpeller. Nous considérons qu’ils sont environ 2 milliards.

Sur un total de 7.5 milliards d’humains…

Exact. Urbanisés à 55 % maintenant. Et, en 2050, 9,2 milliards, urbanisés à 70%

Cela veut dire, en gros, que plus de 40% de la population urbaine vit dans des conditions inacceptables.

En Afrique c’est ça.

Que pouvez-vous faire concrètement aujourd’hui en faveur de ces immenses espaces d’habitat informel ?

La task force n’est pas spécialisée dans ce domaine. Mais, la première des choses à faire c’est de convaincre toutes les parties prenantes que ce sont des zones de développement comme d’autres. Elles appartiennent à l’économie de marché et ne peuvent être traitées uniquement par des ONG. Il en faut mais pas que. Y aller et montrer ce qu’il faut faire et comment on peut les aider c’est déjà faire beaucoup. C’est dans ces quartiers que progresse le plus l’économie circulaire.

En 2017, lors d’une visite à Abidjan, en Côte d’Ivoire, Dominique Carlac’h, ancienne sportive de haut niveau et vice-présidente de la task force, a emmené une trentaine de chefs d’entreprise français visiter une école de judo installée dans un bidonville. Tout Abidjan l’a su. Cela faisait clairement passer le message que ce n’est pas une zone de non droit ou une zone de non-économie.

La task force contribue-t-elle à donner une vision holistique de la ville aux entreprises françaises dont on dit parfois qu’elles en manquent ?

La France n’a pas beaucoup changé depuis la description donnée par le meilleur historien de notre pays qui est Goscinny. Il y a une vieille tendance à se taper dessus en hurlant « mon poisson (ou mon infrastructure) est meilleur que le tien ». Mais quand on les appelle à « manger un sanglier ensemble » et qu’on propose de lutter, hors du village, contre la vraie menace – celle d’un monde sur le point d’exploser – ça change tout. Il faut juste le rappeler de temps en temps.

Beaucoup d’entreprises commencent à se dire qu’elles sont plus crédibles si elles s’intègrent à un mouvement commun. Nous créons aussi souvent que possible des clubs locaux de la ville durable. En Inde, un groupe composé de 40 personnes au départ est vite passé à 80. Et maintenant ils chassent en meute, les plus gros avec les plus petits. Ça les intéresse de participer à cet effort collectif.

Et puis il est clair que les maires, un peu partout dans le monde, ne veulent plus d’entreprises qui travaillent sur un seul projet (métro ou réseau d’assainissement par exemple). Ils veulent tout en même temps parce que la pression démographique est trop forte∫. C’est à nous d’adapter notre offre.

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 6 novembre 2018.

Photo : Gérard Wolf, au premier plan, et une « délégation » de la Task Force (groupe de travail) du Medef dans un quartier pauvre de Medellín en Colombie (coll. privée)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...