L’événement a été comparé à la décision d’Henry Ford de payer ses ouvriers cinq dollars de l’heure qui avait, en son temps, bouleversé l’industrie automobile et les économies des pays développés. Et pourtant, la récente annonce que ses brevets pourront être utilisés par tout le monde, faite par Elon Musk, fondateur et CEO de Tesla Motors le fabriquant de voitures électriques de rêve, est passée relativement inaperçue. Dommage, car elle offre une vision clé de l’innovation aujourd’hui.
Dans un billet publié sur son blog le 12 juin, Musk affirme que « Tesla n’engagera pas de poursuite pour la protection de ses brevets contre quiconque utilise notre technologie de bonne foi ».
Intitulé « Tous nos brevets vous appartiennent », le texte est un mélange de beau discours et d’intérêts bien compris résumé dans cette phrase : « Nous croyons que Tesla, d’autres compagnies qui fabriquent des voitures électriques et le monde bénéficieront tous d’une plateforme technologique en rapide évolution ».
Jadis utiles, les brevets servent aujourd’hui « à étouffer le progrès, consolider les positions des sociétés géantes et enrichir les membres de la profession juridique, plutôt que les vrais inventeurs ». Le cœur de l’analyse est que, face aux 100 millions de véhicules produits annuellement, la compétition qui compte « ne vient pas des voitures électriques produites au goutte à goutte par d’autres que Tesla, mais du déluge de voitures à essence qui sortent chaque jour d’usines dans le monde entier ».
La décision n’est donc pas altruiste. Elle vient d’un « libertarien » qui nie le rôle de l’État et n’accepte les syndicats que s’ils sont « du même côté que les patrons ». Plutôt que de garder ses brevets (plus de 800) et de régner sur une part infime du marché, Tesla préfère augmenter le gâteau quitte à ne pas être la seule à en bénéficier.
Un des enjeux essentiels est la rentabilisation d’une « gigafactory » qui fabriquera des batteries performantes et l’adoption par d’autres de son réseau de Superchargers, stations-services ultra-rapides pour voitures électriques qui couvrent déjà une partie des Etats-Unis.
Mais cette « ouverture » est surtout une triple leçon en innovation :
- Saluées par tous, ses voitures sont bien plus que la somme des brevets déposés pour les construire. La vision d’ensemble fait la différence.
- Il espère attirer les meilleurs ingénieurs que cette philosophie open source séduit. C’est d’autant plus important qu’il ne s’agit pas de logiciels mais de « hardware » qui coûte plus cher et demande plus de temps. Un deuxième niveau d’innovation.
- Tesla a dix longueurs d’avance sur les autres et, pour Musk, « nous voulons innover assez vite pour rendre caducs nos brevets antérieurs dans les domaines qui comptent vraiment. C’est la rapidité de l’innovation qui compte ».
L’innovation dynamique consiste donc à s’inscrire dans un processus d’innovation pour rester en tête de ses rivaux quitte à leur donner accès aux bijoux de la couronne. Elon Musk a compris quelque chose qui avait échappé même à Steve Jobs, à qui on le compare souvent.
Crédit photo : Heisenberg medias/Flickr/CC