Démontons ce mécanisme pourri. Global Language Monitor (GLM) se présente comme « une association d’universitaires » alors qu’il s’agit en fait d’une très normale société « for profit » dont le siège se trouve à Austin au Texas (le paradis de l’expression « biggest in the world »). Elle indexe l’usage des mots sur le web et grâce à un algorithme de sa coction compte le nombre de mots de l’anglais dont elle annonce bien sûr l’irrésistible ascension de par le monde. Ajoutons que le patron de la boîte a un bouquin sur le « millionième mot » dont il annonce régulièrement l’apparition depuis 2006 . En voilà une campagne de pub!
C’est après avoir enregistré 25.000 fois « web 2.0 » que GLM l’a « couronné » millionième mot de la langue anglaise. Sans être scientifique, j’ai au moins deux doutes: Google a repéré le terme plus de 96 millions de fois (ce qu’il aurait du faire surface il y a bien longtemps sur le radar de GLM). Il bat ainsi N00b et Slumdog. On pouvait difficilement faire plus sexy pour un chiffre aussi rond. Ça sent foutrement l’esbroufe (comme dirait Sade).
Les scientifiques sérieux, comme Geoffrey Nunberg de l’Université de Californie-Berkeley dénonce l’imposture (il n’est pas le seul) en rappelant, par exemple, qu’il est difficile de décider comment compter « jouer » suivant qu’il s’agit des billes, du violon ou du basket-ball (j’adapte). Ce qui fait dire au journal canadien Globe and Mail: « Amusez-vous avec les mots mais ne les comptez pas » .
Mais tout le monde n’est pas aussi prudent. Même Reuters ne peut se retenir de pavoiser…
Le plus drôle c’est que John Battelle (qui dirige le Web 2.0 Summit avec Tim O’Reilly) en rougit de plaisir et y voit un merveilleux hasard alors qu’il est en train de préparer la prochaine rencontre .
Il en profite pour nous proposer une nouvelle formule censée désigner le web de demain (à la « croissance exponentielle ») et dont il aimerait bien qu’elle fasse fortune elle aussi: Web Squared. Le web au carré. Curieux. Ça fait quand même fortement penser au terme « NetSquared » qui est – encore un hasard j’imagine – le nom d’une fabuleuse conférence organisée par TechSoup une entreprise à but non lucratif de San Francisco qui s’efforce de promouvoir l’usage du net et du web à des fins sociales. Un concept qui ne semble pas au centre des promoteurs du Web 2.0 Summit.
J’ajouterai pour faire bonne mesure que l’admire le fait que l’anglais ait tant de mots et surtout qu’il en invente autant, aussi souvent, d’un aussi grand nombre de lieux et avec une telle allégresse. D’après GLM, l’espagnol compte 225.000 mots (pas mal) et le français 100.000 . C’est vraiment pas beaucoup…
Au lieu de protester contre les néologismes il est temps de faire fonctionner à plein la planche à produire des mots et, pourquoi pas, des idées…