Bob Young, patron de Lulu.com , présente son site comme un marché pour contenus numériques (voir le billet d’hier ). Il est surtout connu comme outil pour la publication et la vente de livres à la demande. Je serais tenté de dire « à compte d’auteur » comme on faisait dans le temps si cela demandait un investissement important. Mais ça n’est plus le cas puisque les livres ne sont imprimés, un par un, que quand ils sont commandés. Un modèle perturbateur comme l’explique Young dans la suite de notre entretien.
Q – Les maisons d’édition n’ont-elles pas raison de voir en vous un rival?
R – Je ne crois pas que Lulu face du tort aux bonnes maisons d’édition. eBay n’atteint ni Christie’s ni Sotheby’s. M.I.T. (Le Massachussetts Institute of Technology) continuera à drainer le matériau de qualité. C’est un marché que nous ne servirons jamais, mais c’est un tout petit marché. 99,9% de ce qui ne présente aucun intérêt pour M.I.T. et les autres a de la valeur pour une audience.
Q – Quel est le modèle économique du livre de demain?
R – Voilà une question de taille: le livre suivra-t-il le chemin des programmes de télé servis gratis et financés par la pub? C’est possible pour les plus populaires, Harry Potter, par exemple. Les moins connus continueront à se vendre à la pièce avec, peut-être quelques modèles d’abonnement.
Q – Le phénomène de la longue traîne s’applique-t-il à Lulu.com?
R – Oui dans la mesure où 80% des revenus proviennent de 20% des titres. Mais l’appliquer de façon uniforme conduit à être victime d’un mirage. On ne peut pas abandonner les 80% des titres qui fournissent les 20% des revenus parce qu’on ne sait jamais à l’avance sur qui ça tombera. C’est le marché qui décide et je le laisse faire.
Mais il faut aller plus loin. Il n’y a pas un marché des livres. Il faut le segmenter et plus les segments sont conçus étroitement plus ils deviennent efficaces. Lulu n’est pas un marché unique, c’est un conglomérat de micro marchés. Et sur chacun d’entre eux on constate que s’applique la règle des 80/20. eBay est aussi une collection de petits marchés qu’elle doit tous servir.
Q – Comment voyez-vous le futur du livre?
R – Il est énorme. Nous fonctionnons sur la base de récits, d’histoires. Un bon livre vous éduque et vous fait pénétrer le sujet. Peu importe s’il s’agit de technologie, de poésie ou de sujets plus conceptuels. Ce qui compte c’est le futur du récit bien conçu. La difficulté tient au fait que les instruments dont nous disposons aujourd’hui ne servent pas bien le contenu sur le net. Nous avons affaire à un nouveau média et il faut 20 ans pour en découvrir les règles pour la bonne raison que, comme le disait McLuhan, le média est le message.
Si le futur du récit est au multimédia, il ne pourra pas dépendre d’individus solitaires. C’est trop complexe. Mais ça ne remplacera pas le livre. L’auteur solitaire fait des choses remarquables. Il n’est pas obligé de faire des concessions. Les œuvres de Shakespeare ou de Dickens sont sorties de leur tête sans qu’ils aient à faire de compromis. C’est le fruit de l’inspiration comme pour da Vinci, Picasso ou Mozart. Aucune équipe ne sera capable de produire ça. Cette absence de compromis permettant à la créativité de s’épanouir, ne disparaîtra jamais.